La Kabylie : entre résistance des uns et allégeance des autres
La Kabylie est un pays exceptionnel. Elle se distingue aussi par sa singularité des autres régions de l’Algérie. Elle est particulière parce qu’elle est à l’avant-garde et constitue le bastion de la lutte démocratique conte le pouvoir autiste en place depuis cinquante ans.
Mais simultanément, elle pourvoit le noyau dur de ce même pouvoir en cadres militaires et civils. Le général Touati, dit "El-Mokh", ensuite le général Toufik et avec eux Ouyahia ne sont-ils pas considérés comme des hommes forts du pouvoir algérien ?
La Kabylie, où a été imprimée la proclamation du 1er Novembre 1954 et dont le territoire avait abrité le congrès de la Soummam du 20 août 1956, a paradoxalement négocié sa réédition juste après l’Independence parce qu’elle fut cernée et assiégée par l’armée de l'extérieur. Elle se libère et libère tout le pays, mais vers la fin, elle se livre ligotée aux nouveaux putschistes avec l’accord de plusieurs de ses enfants. Celle encore, qui a enfanté Abane Ramdane, architecte incontestable de la révolution, a également enfanté Krim Belkacem qui cautionna l’assassinat, auMaroc de ce chef révolutionnaire.
La Kabylie non musulmane pour certain, chrétienne et athée pour d’autres, compte, pourtant, le nombre le plus élevé de mosquées à l’échelle du pays. Celle qu’on considère arabophobe, a toutefois enfanté Kacem Naït Bekacem, chantre de l’arabisation et de la pensée islamique durant les années 1970 et 80. Celle qu’on désigne de francophile, pourvoit curieusement la télévision unique de l’Etat en journalistes maîtrisant au perfectionnement la langue arabe. Feu Smaïl Yafsah, Mourad Chebine et enfin Karim Boussalem sont des figures kabyles du champ médiatique algérien qu’on ne distingue pas quand ils s’expriment en langue arabe.
Celle qui a enfanté feu Djaout et feu Mekbel, combattants par l’écrit et par la plume de la horde intégriste, a bizarrement enfanté leur bourreaux. Daafer El Afghani, Hattab et consorts sont des terroristes notoires, et y sont natifs ! La Kabylie qu’on décrit paisible et qu’on qualifie de "petite Suisse" au début des exactions terroristes, est devenue présentement un terrain fertile de l’insécurité parce que infestée de terroristes et de bandits.
Le territoire qui a donné naissance à Issat Idir, fondateur du syndicalisme algérien et père de l’UGTA, a donné drôlement naissance à Abd El Madjid Sidi Saïd, patron actuel de cette même organisation, mais dont les principes et l’action syndicaux ont été déviés à d’autres fins très éloignées des intérêts des travailleurs.Il fait d’elle un allié inconditionnel du pouvoir en place.
Celle qui a enfanté, Saïd Sadi, Mokrane Aït Larbi, El Hachemi Cherif, Noueddine Aït Hamouda, Djamel Zenati…de véritables militants de l’opposition démocratique, a également produit Ahmed Ouyahia, Belaid Abdesslem, Amara Benyounès…enfants et défenseurs zélés du système anti-kabyle par essence même. La Kabylie qui a procréé Lala Fatma N’seumer, femme héroïne, combattante de la France coloniale, a accouché de même, de Khalida Messaoudi, devenue ensuite Toumi, qui a renié son parcours de militante démocrate et de combattante féministe.
Le pays qui a enfanté Fellag, comédien de renommée mondiale, ayant choisi l’exile pour préserver sa liberté de ton, a enfanté plusieurs comédiens et acteurs de service qui ont renié même leur kabylité. La contrée qui a enfanté, l’exilé Slimane Azem, le rebelle Matoub Lounès, L’engagé Boudjemaa Agraw et le maquisard Ferhat Mehenni, a enfanté aussi Aït Menguellet, Idir et Lahcen Zermani (Takfarinas). Pour le quador, les deux premiers sont morts, l’un en asile l’autre assassiné par les hordes du pouvoir, le troisième résiste comme il peut dans la chanson engagée, le quatrième est fustigé, décrié et peut-être déchu de sa nationalité parce qu’il a posé une véritable question, en l’occurrence l’autonomie de la Kabylie. Quant au trio de la suite, quoique stars incontestables, ils ont rejoints la mangeoire et le clan des "beni na3am" comme disait feu Lounès dans ses chansons.
La région qui a donné racines à Zine Eddine Zidane, star mondiale du ballon rond, ne parvient plus à ravitailler son club phare en joueurs talentueux. La JSK, la légendaire équipe kabyle, joue honteusement ces dernières saisons, le maintien. A la place des Adghigh, Larbes, Cerbah, Amara, Bahbouh, Iboud, Saïb…enfants de la Kabylie, l’on ramène des amateurs de tout bord et de toute région - excepté la région kabyle - qui n’ont jamais porté la Kabylie dans le cœur. Dans le temps, jouer à la JSK, c’était un engagement d’honneur pour toute une région.
La Kabylie qu’on raconte souffrante en infrastructures de base, voit ces enfants à travers notamment le groupe Haddad construire toute l’Algérie. Le groupe est en effet, présent à travers des chantiers d’envergure, dans pratiquement l’ensemble du territoire algérien. La région qu’on décrit, aussi, pauvre en investissements industriels, contemple ses opérateurs économiques à travers Cévital, Ifri, Soummam, Danone, dominant l’agroalimentaire. Implantés tous en Kabylie, mais ils inondent le marché algérien par des produits de qualité ; ce sont des marques de renommée.
La contrée qui a vu plusieurs de ses enfants la quitter définitivement pour s’installer et s’intégrer durablement dans divers régions de l’Algérie, a, elle aussi, accueilli plusieurs enfants des autres zones, en les adoptant et en les intégrant définitivement. Des Kabyles se sont arabisées et des arabes se sont kabylisés !
Elle qui m’a donné naissance et qui a donné naissance à d’autres Kabyles, hommes libres de surcroît, continue à enfanter d’autres Kabyles qui se reconnaissent plus dans l’autre clan, celui du renoncement, de l’abdication, de la capitulation et du reniement. La Kabylie est et demeure, toutefois, singulière, unique et exceptionnelle. Restera-t-elle ainsi, alimentant deux clans aux profils diamétralement opposés ? Ou bien, son salut réside-t-il seulement dans son autonomie ?
Zoubir Zerarga
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