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vendredi 26 octobre 2012

Kidnappings en Kabylie : « Ils refusent de payer, tu es un homme mort » | Rue89


DERNIÈRES NOUVELLES D’ALGÉRIE23/10/2012 à 11h17

Kidnappings en Kabylie : « Ils refusent de payer, tu es un homme mort »

Dernières nouvelles d'Algérie"
Mehdi Benslimane avec Lyes Izri

Le chiffre n’est certes pas exhaustif, mais il fait froid dans le dos : 71 kidnappings en Kabylie depuis moins de sept ans. Le dernier en date ? Celui de Ghilas, 19 ans, fils d’un entrepreneur, originaire de la localité d’Azzefoune, à 60 km à l’est de Tizi Ouzou. Ses ravisseurs, qui ont pris contact avec sa famille, réclament en échange de sa libération pas moins de 20 millions de dinars (près de 200 000 euros). Dans ce qui est devenu une industrie du rapt, les familles des otages n’ont d’autre choix que de payer.
Le rapt de Ghilas est la suite d’une longue série de kidnappings opérés en Kabylie (Tizi Ouzou, Bouira et Béjaia) par des individus armés qui ont trouvé là un moyen de s’enrichir ou de financer les activités des groupes islamistes d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi).

Bandits, mafias et Aqmi

Depuis 2005, date à laquelle on situe approximativement l’apparition de cette pratique crapuleuse, pas moins de 71 personnes ont été victimes d’enlèvements dans cette région d’Algérie.
Le phénomène est tellement lucratif qu’il s’est transformé en une vraie industrie qui carbure à plein régime. Bandits de grands chemins, groupes maffieux ou activistes liés à Aqmi : tout le monde trouve son compte dans ce business.
C’est qu’il ne se passe pas une semaine, depuis sept ans, sans que l’on signale un kidnapping dans un village ou dans une ville de Kabylie.

Près de 60 millions d’euros empochés

Lucratif parce que les ravisseurs ciblent toujours des personnes aisées. Chefs d’entreprises, industriels, fils d’hommes d’affaires ou enfants de ressortissants algériens établis en France, les victimes sont choisies en raison justement de leurs fortunes supposées ou de celles de leurs familles.
En 2008 déjà, l’ancien ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, expliquait devant des membres du Sénat que ces rapts, 375 recensés en 2007 dont 115 liés au terrorisme, avaient rapporté aux ravisseurs pas moins de 6 milliards de dinars (près de 58 millions d’euros). Une vraie fortune.
Depuis, le business est devenu florissant. Très florissant même. Florissant parce que les otages et leurs familles sont soumis, dans la plupart des cas, à deux choix, pas trois : payer pour revoir l’otage sain et sauf. Ou refuser et prendre dès lors le risque de mettre la victime en danger de mort.

Tout le monde, ou presque, paie

Un ancien otage, chef d’une petite entreprise de bâtiment, qui avait vécu une semaine quelque part dans les maquis de Kabylie en 2008, nous expliquait que ses ravisseurs lui avaient signifié, dès son arrivée dans une casemate, ce qui l’attendait :
« Ils paient, tu seras libéré. Ils refusent de payer, tu es un homme mort. »
Et l’homme a fini par payer la rançon pour sa libération. C’est que, souvent, les familles n’ont d’autre choix que de payer.
Certes, la somme exigée au départ fait souvent l’objet de marchandages via les téléphones portables – le seul moyen de contact entre les ravisseurs et les familles des otages –, mais celles-ci finissent par céder aux exigences des kidnappeurs.
« Nous sommes totalement à la merci des ravisseurs », avoue aujourd’hui à DNA le frère d’un ancien otage qui refuse que son nom soit cité.
« Encore peut-on négocier que la somme soit revue à la baisse, mais la marge de négociations est nulle, sinon étroite. Quand ils menacent de tuer ton frère, que peux-tu faire d’autre que d’obéir à ses ravisseurs ? De plus, ils nous menacent de passer à l’acte si jamais nous entrions en communication avec les services de sécurité. »
Résultat : tout le monde, ou presque, paie.
Bien sûr aucun otage, aucune famille ne reconnaîtra ouvertement avoir cédé aux exigences financières de ravisseurs.
Le sujet est doublement tabou parce qu’aussi bien les otages que leurs familles n’acceptent de témoigner, sinon très rarement.

Des proches qui préfèrent se taire

Durant la séquestration, les familles et les proches refusent de communiquer avec les journalistes de peur de compromettre les négociations et de mettre la vie de l’otage en danger. Et quand celui-ci est remis en liberté, le secret est encore plus gardé, notamment sur le montant de la rançon.
Un ex-otage, pourtant longuement interrogé et à plusieurs reprises par DNA après sa libération en 2011, refuse maintenant de témoigner dans le cadre de cet article de peur de subir des représailles.
Représailles de la part des ravisseurs, de la part des services de sécurité ou de la justice, hantise d’avouer devant l’opinion avoir payé de fortes sommes, volonté de ne pas revenir sur un épisode traumatique : toujours est-il qu’otages et familles refusent de parler.

La crainte des hommes d’affaires

Mais la multiplication de ces kidnappings provoque un effet papillon désastreux sur le tissu économique de la région dans la mesure où elle fait fuir industriels, hommes d’affaires autant qu’elle dissuade les investisseurs de s’y installer.
« Depuis au moins trois ans, j’ai vu partir plus de 70 grands industriels qui ont décidé de quitter la région de Tizi Ouzou », avoue à DNA, Mahfoud Bellabes, élu du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et président de l’assemblée populaire de « wilaya » [division administrative, ndlr] de Tizi Ouzou.
Explications de cet élu : les hommes d’affaires craignent désormais pour leurs vies et pour celles de leurs proches. De crainte de faire l’objet de kidnappings, ils ont ainsi décidé de délocaliser leurs activités pour s’installer dans d’autres régions d’Algérie.
Et c’est notamment le cas de cette grosse imprimerie dans la localité de Tizi Ouzou qui emploie plus de 300 personnes et dont le patron a récemment décidé de mettre la clé sous le paillasson parce que son fils a fait l’objet d’un kidnapping.

Les explications du patron de la police

« J’ai tenté de le convaincre de rester, mais il m’a fait comprendre qu’il préfère délocaliser de peur de subir encore un autre rapt », explique M. Bellabes.
« Lui est impuissant, nous le sommes encore plus, nous élus, face à ce phénomène. Pourtant, la Kabylie est l’une des régions les plus militarisées d’Algérie… »
Avec quelque 14 000 membres des forces de sécurité (policiers, gendarmes et militaires), la Kabylie reste en effet l’une des régions les plus quadrillées d’Algérie.
Parce que la Kabylie reste frondeuse, parce qu’elle connaît depuis presque vingt ans une forte activité terroriste, les autorités ont mis le paquet en terme d’effectifs sécuritaires.
Mais comment expliquer alors que ce phénomène touche uniquement la Kabylie ? Comment comprendre que les services de sécurité demeurent impuissants face à ces individus ?
Lors d’une rencontre avec des élus de Tizi Ouzou au printemps 2011, le patron de la police algérienne, le général Hamel, avance ses explications : la région étant montagneuse, il est difficile pour les services de sécurité de traquer toutes les bandes armées qui sévissent dans ses localités.
Les familles des otages, explique-t-il encore, refusent de coopérer avec les forces de l’ordre.