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mercredi 5 juin 2013

L'indépendance confisquée | Kabyle.com

L'indépendance confisquée

mer, 2013-06-05 12:17 -- Azru
Contribution de M. Tayev Larbi Président du Conseil National Kabyle lue lors de la Convention régionale du RCD, le 25 mai 2013 à Tizi Ouzou.

I. La place de l'Amazigh dans la Méditerranée ou du Monde antique à aujourd'hui

I.1. Avant J.-C. :

- -950 : Funérailles de SHASHNOQ (Berbère de Numidie Libyquo Soudanaise)  qui ont duré 3 mois sur toute la Méditerranée.

- -850 : DIDON ELYSSA princesse de TYR actuel Liban chassée par son frère Pygmalion  fonda CARTHAGE (Nouvelle ville en Phénicien) sur la place BYSRA (peau de bœuf en punique), ce fut lapremière utilisation du cercle dans la transaction foncière des Berbères.

- -330 : Platon rédigea La République d’inspiration berbère fondé sur le mode de fonctionnement des villages de TAMAZGHA oû chaque village avait ses lois et codes de  bonne conduite.

- -201-146: Règne de Massinissa et en 148 Av.JC, fin des guerres puniques avec la chute définitive de Hannibal vaincu par Scipion dit l’Africain et  occupation de Carthage par Rome.

- -120 : Défaite de Jugurtha et début des colonisations successives de la Numidie par les Romains, les Vandales et les Byzantins.

I.2. Après J.-C.

- 270 : Naissance  de Saint Donat (Gaule ou Espagne) Evêque de Carthage DCD en 355 en exil à cause de son opposition à Rome qui voulait soumettre les Berbères sans contre partie. Il est à l’origine du protestantisme actuel basé sur son schisme de l’église africaine.

- 354 : Naissance  de Saint Augustin à Thagast actuelle Souk Ahras, décédé à Hippone actuelle Annaba en 430. Il a écrit à Rome une lettre de protestation rendue célèbre appelée « Lettre 10.2 l’enlèvement d’êtres humains et leurs mise en état d’esclavage » Il écrivait en substance ceci : « Ces gens qu’on appelle communément trafiquants d’esclaves, sont si nombreux en Afrique qu’ils vident en grande partie ce pays (Algérie Actuelle!) De sa population en déportant dans les provinces d’outre-mer ceux qu’ils achètent et qui sont tous des hommes libres !» Il est le fondateur de la Démocratie Chrétienne actuelle basée sur son livre très connu : «La cité de Dieu »

- de 440-590: occupation Vandale (les Visigoths) de presque la totalité de l’Afrique du Nord, de l’Egypte à la Mauritanie.

- 670 : Oqba Ibnu Nafa (venu de l’Orient arabe) fonda Kerwan en  Tunisie et la surnomma capitale de l’Ifriqiya.

- 680 : Koceila (venu de l’Awres - Nord constantinois) prend possession de Kerwan et est proclamé roi de l’Ifriqiya après avoir battu et tué Oqba Ibnu Nafa.  

- 711 : Tarik Ibnu Ziyad (venu de la même région que Koceila) sur ordre  du gouverneur de l’Ifriqiya Moussa Ibn  Noussair (venu d’Orient) a vaincu le roi Visigoth au sud de l’Espagne après avoir franchi le Détroit Maroc Espagne devenu  Gibraltar.

- 1061-1147 : Youcef Ibn Tachfint venu du Sahara occidental fonda Mrakech (qui veut dire lève toi en Tachelhit) capitale (Tamanaght) de l‘Ifriqiya, il régna sur tout le Maghreb et l’Andalousie sous la dynastie d’Elmoravides. C’est à cette date que le Chenwi BOLOGHINE fonda la république d’Alger dont la capitale (Tamanaght) Tipaza appelée Eldjazair à cause de ses plusieurs petites îles.

- 1147-1269 : Ibn Toumert venu des Chawi détruisit Kerwan et détona les Elmoravides et régna sur le Maghreb et  aida à la destruction de  l’Andalousie. C’est vers 1180 qu’Averroès (Ibn Roshd)  fuie à Mrakech.

- 1255-1353 : Si Mohand Ouadhris  professeur d’histoire des religions à l’université de Bougie (Saldaé) fut persécuté par les hachachines (assassins) pour avoir proposé l’abrogation des fetwates dans le Coran. A cette période les intellectuels de Saldaé ont inventé la Laïcité appelée Jmaa Liman (au nom de toutes les croyances). Fibus BONACCI (Fibonacci 1170-1240) venu de Rome fut l’un des étudiants les plus éminents de cette université et découvrit la calligraphie kabyle 0, 1,2…10.

- 1280-1600 : existence affirmée des républiques et royaumes kabyles tels que les Hamadites, Koukou, Iflissen, etc. -
- 1518 : Proclamation de la Régence d’Alger par les Turcs, qui ont décrété  un embargo économique de 3 siècles contre les Kabyles qui vivaient en lutte permanente avec eux.

- 1610 Un séisme de magnitude dépassant 8 de l’échelle de Richter détruisit tout Alger jusqu’à Tipaza. La partie est appelée Casbah a été reconstruite par les kabyles d’Azzefoun avec le bois de Yakourèn transporté par les bateaux d’Iflicène de Tigzirt et les marins de Dellys.

- 1830 : Débarquement de la France coloniale et prise d’Alger. Plus de 30.000 kabyles ont péri à Sidi fredj, plus de la moitié ont péri dans les combats qu’ils ont livrés aux turcs qui leur ont barré la route à  Ain Taya, Delly Brahim et Cherarga avant d’opposer de  veines résistances aux envahisseurs français.

- 1847 : Rédition d’Abdelkader après une opposition de 15 ans à l’occupation de la colonisation.

- 1848 : Proclamation officielle de l’Algérie française de tous les territoires occupés par le général Schneider.

- 1856 : Début de la colonisation française de la Kabylie avec la mort de Fatma N’soumer.

- 1871 : Fin de la résistance Kabyle avec l’élimination. D’Elmokrani et de chikh Ahedad.

- 1890 : Début de la guerre totale coloniale contre la Kabylie, sa nation et son peuple, la plus grande nation parmi  toutes les nations et peuples qui composent l’Algérie, cette guerre est exécutée par le bureau arabe désigné par la France qui voulait construire un grand empire arabe en Afrique du nord. C’est l’exécution sur le terrain du SÉNATUS consulte.

- 1926 : Début du mouvement national algérien pour la lutte contre le colonialisme sous la conduite de Laimèche Ali et Messali L’hadj puis d’Amar IMACHE pour la reconnaissance du peuple autochtone.

- 1954 : Début de la lutte armée.

- 1962 : Fin de la guerre contre la France.


II. L'indépendance confisquée par 4 pilliers idéologiques et politiques


II.1. Comparaison avec des pays développés et émergents dont l’indépendance est acquise après l’Algérie


- Vietnam : 11 ans après l’Algérie.

- Australie : 24 ans après l’Algérie.

- Afrique du Sud : 32 ans après l’Algérie.

Ces pays ont atteint leur niveau actuel parce qu’ils ne devaient pas exécuter un programme quelconque imposé par leurs ex. colonisateurs à la différence de l’Algérie qui devait exécuter le programme de réduction de ses peuples qui la composent et surtout l’anéantissement du plus déterminant le Kabyle, ce programme coûte à tous les algériens le déficit de tout développement ultérieur et l’inexistence de toute pratique démocratique,  comme d’ailleurs celui du Mali.

Comment le système Algérie a-t-il procédé ?


II.2.  Mise en place des 4 pilliers obstructeurs de l'Etat Nation et conséquences


-1976 : II.2.1 : Adoption de la charte nationale qui ignore toutes les composantes ethniques et sociologiques de l’Algérie, c’est le  premier pilier
II.2.2 : Mise en place de la révolution agraire qui a accentué les méfaits du SENATUS Consulte à savoir la dépossession des toutes les communautés nationales et surtout la Kabylie de ses biens fonciers.

II.2.3 : Installation de la GSE : Gestion Socialiste des Entreprises. Cette loi qui permettait à l’exécutif de l’Etat d’acheter des usines clefs en main et désigner qui il veut pour leur gestion.

II.2.4 : Adoption de l’Ordonnance du 16 Avril qui stipule dans son article 2: "L’école algérienne forme des arabo-Islamiques à conscience socialiste"

-1976 : USA lancement de la première version de l’Internet pour améliorer les flux d’information de l’armée nous en dépendons tous aujourd’hui.

France lancement du langage Pascal pour améliorer la gestion des services publiques, ce langage que nous n’arrivons encore pas à maîtriser dans nos universités dont les labos de recherche sont devenus des salles de prière

-1980 AVRIL 20 : Eclosion du printemps kabyle à Tizi-Ouzou appelé printemps d’Avril 80

-1981-1988 : Adoption du code de la famille qui rend toute femme mineure à vie

Adoption de l’Article 120 qui stipule que : "Tout responsable de la fonction publique ou d’entreprise publique doit Être membre du FLN".
Arabisation de l’environnement et moralisation islamique de la société (chasse à la mixité).
Octobre 88 : Eclatement de la colère de la jeunesse à l’échelle nationale. Plusieurs morts et découverte de la torture. Cela a mis une Fin transitoire à l’hégémonie du parti unique FLN.

-1990-2000 : Décennie noire avec 200.000 morts et disparus.
Adoption du principe de La Famille révolutionnaire qui divise les Algériens en deux catégories. Des citoyens de plein droit car membres de la famille révolutionnaire qui peuvent prétendre à : Exemption du service militaire.Droit aux licences de taxi, de café,de lignes de transport,de débits de boissons alcoolisées, d’importation de véhicules, de deux catégories au travail, de partir en retraite 7 ans et demi avant l’age légal. Devenu loi ce principe a remplacé l’article 120 en l’amplifiant.    

-2001 Avril: Eclatement du Printemps Noir en Kabylie faisant 126 morts parmi les jeunes et plus de 2000 blessés dont plus de 1000 handicapés à vie.

-2001-2013 : Adoption d’une nouvelle constitution reconnaissant Tamazight comme langue nationale et son enseignement à l’école en Kabylie.

Tout cela n’empêche pas les jeunes de s’immoler, de se jeter sur des radeaux pour fuir le pays réduit en enfer par notre seul égoïsme car même quand nous connaissons des choses nous ne les partageons pas avec nos autres même nos propres enfants. Ce que nos enfants veulent c’est de leur donner les clefs de leur pays pour le valoriser par leur vigueur et la maîtrise de nouvelles technologies.   

2013 : Personne ne peut plus dire que je ne savais pas ou je ne sais pas. FRIEDRICH HEGEL disait ceci :La disparition naturelle d’un peuple se manifeste par la nullité politique   

Dr.TAYEB LARBI

Timecrett en Kabylie païenne et socialiste libertaire | Kabyle.com

Timecrett en Kabylie païenne et socialiste libertaire

mer, 2013-06-05 11:13 -- Samia Ait Tahar
Le mois de mai de cette année n’a pas fait exception : lors du dernier vendredi, les At Wa3ban ont procédé au lâcher des ruisseaux nécessaires à l’irrigation de leurs terres agricoles. Pour que la saison soit bonne, les villageois sacrifient le même jour une dizaine de bêtes. C’est timecrett à At Wa3ban.
Des milliers de kabyle viennent de toute part du pays pour assister à cette tradition ancestrale, célébrée dans un esprit convivial, hospitalier et ouvert comme on le vit peu en Kabylie de 2013. Les At Wa3ban sont fiers de leur village, ils en ont une fierté saine et naturelle, qui ne frôle jamais l’arrogance ni l’agressivité. Ils sont foncièrement soucieux de mettre les étrangers à l’aise et de l’image que ces derniers auront de leur village. Ils sont fiers de réussir un évènement aussi généreux et de pouvoir y convier qui ils veulent.
C’est le matin très tôt que les habitants d’At Wa3ban lâchent tirrugwa. Historiquement, la tradition répond à la nécessité de pallier au manque d’eau qui se fait sentir dans les champs à la fin du printemps. Le partage se fait de façon équitable selon un système adéquat de déviations hydrauliques des fontes des neiges qui traversent le village. Essentiellement agricole, le village avait autrefois un besoin vital d’optimiser le travail de la terre.
Mais il n’y a pas que l’eau qui est partagée également entre les terres cultivables. La viande des bêtes sacrifiées est elle aussi équitablement divisée entre les familles du village. Il faut aussi souligner que le partage se fait en tenant systématiquement compte de la présence éventuelle d’invités pour les familles qui déclarent en avoir, qui recevront leur part pour diner. La viande est absolument délicieuse mais l’esprit de partage dans lequel se célèbre la tradition la rend tellement meilleure.
A coté du lâcher des tirrugwa et de timecrett, la tradition veut que les villageois et les visiteurs aillent ce jour-là se faire bénir en laissant une somme d’argent volontaire. L’argent est récupéré par le tajma3t, le comité de village. Cette année, les dons ont totalisé 86 millions de centimes de DA.
Mais il y a aussi lȣom, une autre habitude ancestrale qui doit être commentée. Elle consiste en la bénédiction des bébés nés peu avant la période de timecrett dans le mausolée érigé par le village à l’effigie de Muhend U3amran. Hormis la famille proche du nouveau-né, personne dans le village ne le verra jusqu’à au matin de timecrett. Ce jour-là, sa mère l’emmène au tombeau, le découvre et le fait passer par la fenêtre vers l’extérieur. Ainsi, son fils ou sa fille est protégée des mauvais sorts. Pendant ce temps, à l’intérieur du mausolée, c’est la fête, les femmes affluent pour chanter des chants traditionnels et danser au rythme de tbel.
Les villageoises ont pour habitude de visiter ce lieu qui est chargé de pouvoirs pour les At Wa3ban, même en dehors de timecrett. Par la présence de l’esprit de Muhend U3amran, le tombeau est perçu comme un lieu de recueil et de prière. « Seules les femmes y vont, nous explique un villageois. Si elle est stérile par exemple, ou si elle veut que sa fille se marie, une femme vient prier ici pour changer le cours du destin ». L’origine de ce personnage qui a marqué les At Wa3ban et continue à les fasciner n’est pas établie avec certitude pour les villageois, mais ils racontent tous l’histoire qu’il en reste aujourd’hui.
Amacahu, inid ahu
Il était une fois un village qui s’appelait At Wa3ban. C’était le dernier village qu’on rencontrait sur sa route si on bifurquait à droite à partir de I3attafen au lieu de continuer vers 3in-el-hamman. Arrivés à At Wa3ban, on arrivait au bout de la grande Kabylie. Isolé par son emplacement géographique, le village avait développé au fil des siècles une mentalité soudée et des mécanismes de fonctionnement originaux et efficaces, ainsi qu’une mentalité rebelle et fortement libertaire. Un jour arrive un étranger appelé Muhend. Il y vivra pour le reste de sa vie. Par sa bonté, sa sagesse et sa générosité, il bouleverse les villageois. Il en serait même venu à occuper un poste de responsable du village. A sa disparition, les At Wa3ban veulent l’immortaliser, le remercier et lui rendre hommage en l’enterrant dans un tombeau. Son nom, le sage le tient de « i3amranen », cette région d’où il avait dit être originaire. Ne sachant pas où il pourrait être enterré, il avait demandé reposer dans un endroit que les villageois craignaient particulièrement. Or, « Azrib n i3attaren, c’est cette route qui menait de la petite kabylie à At Wa3ban, la seule d’ailleurs à cette époque. Les villageois la surveillaient puisqu’elle représentait une entrée au village », nous explique Hammu At Sa3id, un villageois. C’est ainsi qu’on a exhaussé le vœu de U3mran en l’enterrant sur cette route. De son coté, Dda Tahar, habitant de Vgayet et de passage dans son village d’origine pour timecrett nous raconte comment le personnage continue à fasciner At Wa3ban. Comme le sort de cet imam arabophone soufi, ccix Dif, venu islamiser la Kabylie durant la guerre d’indépendance. Provoqué par le culte voué à U3mran, l’imam promet d’aller détruire son tombeau en commençant par le toit. Il ajouta: « S'il a vraiment elbarhan [des pouvoirs surnaturels, NDLR]; qu'il me fasse dégringoler depuis la platteforme [place centrale du village, NDLR]  ». Or, à peine quelque heures plus tard, l’imam fut exécuté par l’armée  francaise sur la place du village, continue Dda Tahar, laissant comprendre que le personnage de U3mran s'en trouvait grandit dans l’imaginaire kabyle. « Les gens ont interprété l’évènement comme une riposte de l’esprit de U3amran ». L’implication de l’armée française dans l’histoire la rend néanmoins peu claire : Pourquoi les français auraient-ils cherché à protéger le tombeau ? L’exécution de l’imam, relevait-t-elle de la coïncidence ? Les français avaient-ils joué aux exécutants de U3amran pour exploiter la superstition des kabyles et renforcer un culte culturel local ? Ou s’agissait-il réellement de la manifestation d’un pouvoir spirituel ?
La guerre d’indépendance
Le fait que U3amran nous mène à aborder 54-62 n’est que hasard. Car on ne peut jamais venir à At Wa3ban sans repenser à la guerre d’indépendance. Au courage incommensurable de ce village et aux barbaries commises par l’armée d’occupation. « Ma mère été torturée devant moi. Jamais je ne l’oublierai et jamais je ne le pardonnerai, raconte Hammu avec émotion. J’avais 12 ans en 1962. Mon père est mort en chahid à 39 ans ». Pikaso, un jeune du village, se joint à Hammu pour rappeler que At Wa3ban était le Quartier Général de la wilaya III et qu’il a été rasé le 11 Décembre 1957. Les habitants s’étaient alors réfugiés chez les Ibudraren. Le village avait enregistré une centaine de martyrs pendant la révolution, ce qui doit représenter une bonne partie des hommes qui pouvaient aller au combat à cette époque (At Wa3ban compte aujourd’hui 3 500 personnes). Nos interlocuteurs considèrent que les martyrs et les traumatismes de 54-62 sont une cause importante de la discontinuité de la transmission de l’histoire du village et en particulier de celle de timecrett. Il ne faut pourtant pas se tromper : la tradition a continué à être célébrée pendant la colonisation et pendant les années de guerre. « Sans aucun doute, timecrett était encore mieux organisée que maintenant », regrette Hammu, qui assure que la misère que vivait la Kabylie ne l’empêchait pas de sacrifier les bêtes : « A la différence de maintenant, il y’avait beaucoup d’élevage ici.  Et les bergers offraient des bêtes pour l’occasion. C’était une grande fête et elle se passait toujours très bien ». A cette époque-là, nuancera-t-il, les étrangers n’étaient pas invités à y participer.  
Aqdar
Mais le malheur des At Wa3ban ne s’est pas arrêté à la guerre anti-coloniale. L’Algérie indépendante a aussi apporté son lot d’oppression et de complications dans le droit du village à vivre et développer sa culture ancestrale. Le village célébrait beaucoup d’autres fêtes, se souviennent Hammu et Pikaso. « Tu te souviens de Aqdar ? demande Hammu à Pika. C’était juste une semaine ou deux avant timecrett. Elle correspondait au moment où les bêtes d’élevage étaient amenées dans le pré pour y passer l’été et brouter. Tous les bergers du village devaient ramener leurs bêtes à Amrah [un terrain vague au dessus du village NDLR] , y compris ceux qui habitaient en dehors d’At Wa3ban ». Hammu explique que durant tout l’été, la garde des troupeaux se faisait à tour de rôle. Deux bergers gardaient le troupeau ensemble chaque jour. La nuit tombée, deux autres venaient les remplacer pour le lendemain. Ils apportaient avec eux le diner. Ils mangeaient et passaient la nuit ensemble, tous les quatre. Le lendemain, les deux nouveaux arrivés prenait la relève pour s’occuper du troupeau et ainsi de suite. Cette tradition correspondait au besoin de consolider l’esprit communautariste du village et la cohésion de son élevage et de ses habitants. Aqdar était célébrée en coup d’envoie de la saison du pâturage collectif. On y faisait des combats de bœufs et des activités tout à fait singulières comme el ȣard, cette compétition au tir au fusil de chasse qui visait à toucher un rocher posé en objectif. « Gamin, je ne ratais jamais cette fête, plus amusante que timecrett pour moi, raconte Pikaso, 39 ans. Mais elle a complètement disparu depuis les années 90. Les villageois ont arrêté de la célébrer notamment à cause de l’insécurité due à l’installation de groupes terroristes aux alentours d’At Wa3ban à cette époque. Amrah se trouve à un bon kilomètre de marche du village et en pleine montagne ».
Socialisme kabyle, mais encore ?
En plus de l’âme d’équité qui imprègne la tradition, en plus de la générosité et l’hospitalité des At Wa3ban, rendue palpable par l’accueil impeccable des visiteurs, d’autres caractéristiques du village se manifestent à cette occasion. L’ouverture d’esprit des At Wa3ban en est une. « La mixité est naturelle pour nous », s’exclame Pikaso, lors de cet évènement fêté sans aucune séparation entre hommes et femmes y compris lorsqu’on danse. La mixité est d’ailleurs de règle ici lors des autres fêtes telles que les mariages. De plus, la laïcité et l’esprit républicain sont aussi surprenants. Pour les musulmans et les chrétiens du village, la religion se pratique pour soi et sans prendre de manifestation culturelle ni ostentatoire. Le nombre très limité de hidjabs dans l’évènement est une bonne illustration de la mentalité foncièrement laïque des At Wa3ban. Il est sans aucun doute difficile de trouver en Algérie un agroupement humain pris au hasard qui présente aussi peu de femmes voilées. Il faut aussi noter que les autres villages de la commune d’Aqbil ne sont pas épargnés par la montée de l’islamisme. Les At La3ziz et les At Meslayen sont cités ici en exemple pour illustrer des reculs vertigineux de la laïcité dans la région. Une influence que beaucoup de villageois ici sont déterminés à contenir, notamment en maintenant le caractère tolérant de la mosquée qui ne dérange pas les habitants par l’adan et qui refuse coup après coup l’intégration d’imams envoyés de l’extérieur.
Organisation collective
Avec une efficacité exemplaire, les villageois vivent et convient à une journée remplie, reproduisant une tradition ancestrale qui en dit long sur l’esprit d’organisation, de partage et d’ouverture kabyle. En termes d’organisation villageoise, timecrett est une preuve vivante que le peuple kabyle sait depuis la nuit des temps organiser des actions collectives, et ce, de façon véritablement efficace. Pour timecrett, aucun responsable n’arrive en retard. L’achat des bêtes a toujours lieu à temps. La viande est toujours également divisée, même lorsque les modalités de division sont compliquées. La répartition est toujours terminée à temps et les règles d’hygiène sont respectées. Le sérieux est de mise et le compromis est un compromis. On ne se dérobe ni par des « normalement », ni par des « nchallah » ni par des « ellah ghaleb ». Il est donc peu prudent de croire, comme beaucoup, les kabyles sont un peuple foncièrement désorganisé. Malmenés par l’histoire moderne, il semble que nous semblons avoir perdu l’aptitude de gérer des nouvelles situations. Mais  la capacité d’organisation se met en route de façon remarquable lorsqu’il s’agit de traditions bien ancrées. L’exemple de timecrett est à observer avec attention pour qui s’intéresse à organiser le peuple kabyle à travers dans des actions de terrain ou d’autonomisation.
Pour toutes les raisons qui font de timecrett un pari tenu depuis des siècles, le passage à At Wa3ban représente un indescriptible bol d’air frais. Pour les mêmes raisons, ceux qui n’y sont jamais allés sont vivement invités à y aller, tandis que ceux qui connaissent déjà apprécieront sans aucun doute possible d’y retourner.
Samia Ait Tahar
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