Conflit malien : un vrai défi français
Il y a déjà deux ans de cela, quand les incursions d’AQMI dans le Sahel et dans le Sahara commencèrent à défrayer la chronique en France, certains experts américains évoquaient déjà, promettaient même aux officiers français, un nouvel Afghanistan au cœur même de l’ancienne AOF. L’expression fit depuis lors, date, tant les similitudes s’avérèrent grandes. C’est peut-être aussi que la déstabilisation de la Libye et de tout l’axe central et occidental saharien n’étaient alors pas exclus pour ces mêmes experts étatsuniens, étant donné la corrélation évidente et brillamment démontrée par le Professeur Lugan, entre la destruction de la Libye Kadhaffienne, et la montée en puissance des groupes armés islamistes ou islamisés à travers le Sahara central et occidental depuis plusieurs années. Alors même qu’ils étaient précisément contenus jusque-là par les régimes autoritaires et laïcs d’Afrique du Nord.
Aujourd’hui, la France est officiellement entrée en guerre sous mandat de l’ONU pour porter assistance au Mali, en proie à un risque d’invasion islamiste au Sud, après en avoir déjà subi la sédition au Nord. Quoique l’on en pense, et quelque soient les critiques que nous allons porter plus bas, et les paradoxes que nous allons pointer, on ne peut naturellement qu’encourager nos soldats et notre armée, engagés désormais dans ce théâtre d’opérations, dont on ne sait pas encore quel en sera l’épilogue, ni quand il surviendra. En un mot, nous tentons de comprendre et d’envisager les conséquences sur le long-terme, pour la nature et l’objet de la politique de sécurité saharo-sahélienne.
Néanmoins, ce nouvel engagement de nos troupes et de notre diplomatie, s’il est certainement crucial et certainement salutaire pour la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest, n’en est pas moins la résultante ultime d’effets géopolitiques de plus grande échelle.
Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur les origines exactes de ces groupes armés islamistes sévissant à travers le Sahara, d’Est en Ouest, vivant de contrats, de mercenariat, de grand banditisme et de razzias. Il s’agit avant tout de groupements de bandits de grand chemin, agissant sous le drapeau classique et pratique de l’islamisme radical. Mais précisément, ces personnages qui semblent avoir surgi de nulle part au milieu des années 2000 (AQMI est en réalité une émanation des cadres du GSPC algérien en fuite), étaient jusque-là maitrisés dans leurs agissements, notamment par le bouclier Nord-africain que constituaient ces états laïcs, en premier lieu la Libye, aujourd’hui tombés aux mains de partis politiques islamiques dits modérés, mais aussi l’Algérie, qui malgré une grande prudence stratégique dans le conflit actuel, conserve un rôle central comme nous le verrons plus loin.
Une intervention inévitable, pour nos pompiers pyromanes.
Hier, la France est entrée militairement dans le conflit malien, et y est entrée seule. Du moins en attendant la mise en place de la force de la CEDEAO, et des troupes de l’ONU en Septembre 2013. Paradoxalement, malgré les remarques que nous allons faire, cette intervention française pourrait bien s’avérer plus bénéfique pour le prestige de l’Armée et pour le confort de nos intérêts que l’on ne pourrait le croire. En attendant, on ne peut évidemment pas aborder la question malienne sans comprendre l’ensemble des facteurs de déstabilisation de l’espace sahélien. Parmi ces facteurs, il est impossible de nier la responsabilité des alliés de l’OTAN et de leur action en Lybie. L’Europe avait presque immédiatement subi les contrecoups de l’ingérence atlantiste en Afrique du Nord à l’été 2011, en récoltant des nuées de barques remplies de malheureux fuyant les combats. Aujourd’hui, hormis la première conséquence de la destruction de la Libye de Kadhafi, à savoir l’augmentation grave de la tension sécuritaire au Sahel, nous aurons assurément à subir quelque temps le climat de peur et de sémantique terroriste, auquel les peuples occidentaux sont bien accoutumés. Même s’il ne faut sans doute pas prendre au sérieux les promptes menaces d’attentats proférées par les leaders islamistes au Mali (qui s’intéressent avant tout aux rapts d’étrangers dans le désert), le ministre de l’intérieur Manuel Valls n’a pas hésité à qualifier la menace terroriste de « très forte et permanente ». Mais de l’aveu même de l’expert pourtant peu iconoclaste Mathieu Guidère, une telle menace ne saurait venir directement de groupes basés au Sahel ou au Sahara occidental, mais plus probablement d’énergumènes de type « Merah ». Nous ne pouvons que souscrire à cette analyse, et l’ajouter aux nombreux effets collatéraux de notre gestion désastreuse de la menace terroriste et de la réalité islamiste radicale internationale.
Ainsi, c’est encore le profond esprit de vassalité qui prévaut parmi l’élite gouvernante actuelle, une vassalité qui s’étend de Washington à Doha, affaiblis que nous sommes du point de vue de la guerre économique, il en va de même du point de vue de la tension sécuritaire mondiale. Si nous avons bel et bien une mission et même un défi à relever au Mali, nous ne faisons aussi que courir désespérément pour rattraper des erreurs tactiques, enfantées par des stratégies de plus grande ampleur, ayant pour instigatrices des superpuissances nous dominant et contrevenant au final, à nos intérêts propres.
Comprendre et assumer les causes.
D’une part, la compromission de notre gouvernement et de notre diplomatie dans l’entreprise de destruction de la Libye aux cotés de l’OTAN aura certes contribué à rendre possible la situation qui prévaut aujourd’hui au Mali. Mais si les islamistes du désert sont aujourd’hui désignées comme menaces et ennemis (menaçant même de « frapper au cœur de la France »), les islamistes de Benghazi et de Cyrénaïque étaient quant à eux des alliés objectifs, loués par l’agent mondialiste Bernard Henri Lévy ou par la gauchiste Caroline Fourest. Nous étions encore sous l’ère Sarkozy, mais est-ce que de la gauche à la droite, une grande partie de la classe politique dominante en France n’a pas justifié le soutien à cet islamisme souvent mafieux au nom des droits de l’homme et de la sempiternelle ingérence humanitaire ?
De même, en Syrie : notre gouvernement, notre diplomatie, nos services, se sont compromis en apportant un soutien éhonté à certaines factions islamistes parmi les plus radicales de la région. Et de l’UMP au PS, l’élite gouvernante perpétue aujourd’hui une cruelle faiblesse de vues, assujettie à des intérêts étrangers aux nôtres. Mais là encore, la question islamiste disparut soudain de la propagande médiatique ou gouvernementale, puisque les soutiens allaient à une opposition « syrienne » officiellement démocrate et planquée à Londres, mais concrètement composée de toutes les milices mercenaires de l’internationale terroriste islamique, dont les premiers financements émanaient prioritairement de fonds qataris et saoudiens.
Le fait est que la prétendue lutte contre le terrorisme islamiste international, n’a pas plus de sens, que par conséquent, de réalité, dans la mesure où le gouvernement entend ne mener un tel combat que selon des intérêts étrangers et des méthodes grossières. Tout ceci prend encore moins de sens, quand l’on sait les gouvernements français UMP, puis PS, autorisent des fonds qataris à financer des programmes dans nos banlieues déjà gangrénée par le communautarisme. Ces mêmes fonds ou à peu de choses près, qui financent les milices de l’internationale islamiste aujourd’hui en action au Mali[1]. Ainsi, oui : l’intervention française au Mali était sans doute nécessaire. Nous aurions inévitablement à payer dans notre ancien pré-carré sahélien, le prix d’une géopolitique atlantiste qui aura débordé jusque dans l’Afrique du Nord en 2011. Ainsi, la promesse d’un nouvel Afghanistan pour les français en Afrique, n’était pas vaine. Jusqu’où se réalisera-t-elle ?
Pour l’heure, il est clair que l’aviation française n’aura que peu de peine à juguler la récente offensive de la rébellion islamiste du Nord-Mali sur le Sud. En dépit d’un réassort en armes et d’un large rassemblement de troupes, l’attaque éclair tentée par les factions islamistes sur le Sud du pays n’avait que peu de chances de réussir, en cas d’intervention française. Or, le fléchissement d’Alger sur le sujet (jusque-là, les algériens observaient plutôt une politique de prudence étant donné les risques sécuritaires à leur frontière Sud) et notamment l’autorisation du survol de son territoire par l’aviation française, aura contribué à la célérité de la riposte de nos armées, alors que les bandes armées islamistes avançaient sur des bases abandonnées.
En effet, même si l’offensive islamiste parait dérisoire, par rapport à la force de frappe de l’Armée française, il ne faut pas perdre de vue l’état de démembrement avancé de l’Etat et de l’armée malienne, cette dernière étant par ailleurs peu ou prou reformée par des officiers européens, il devenait urgent pour les factions islamistes les plus importantes, de tenter un coup d’audace sur le Sud et sur Bamako, une occasion à quitte ou double d’autant plus suggérée par l’apparent attentisme français. La force de 3000 hommes prévue par la CEDEAO étant encore partiellement non-opérationnelle, il s’agissait naturellement de réaliser un coup davantage politique que militaire, étant donné le nihilisme qui caractérise la gouvernance du Mali actuel. Il fallut en réalité l’intervention in extremis de l’Armée française, c’est-à-dire la fin des tergiversations du gouvernement, pour mettre un frein sérieux à cette offensive islamiste sur le Sud-Mali.
Pour autant, beaucoup en France, conscients du retard du gouvernement dans cette affaire, ne perdent pas de vue les risques à redouter pour le futur. Ainsi du député Dupont-Aignan ou encore de l’africaniste Bernard Lugan[2], qui suit et éclaire les arcanes du cas malien depuis plusieurs mois. Le professeur Lugan, a raison, avait depuis longtemps mis en garde contre les effets désastreux de la destruction de l’Etat libyen pour la stabilité du Sahara central et occidental, en accentuant son analyse sur la question touareg, qui en tous points de vue, reste au cœur de l’enjeu sécuritaire.
De l’urgence de revoir les alliances franco-golfiques.
Plus encore, malgré l’intervention de l’Armée française, la déstabilisation islamiste de l’Afrique saharo-sahélienne se poursuit, avec l’ouverture de fronts inédits et aux portées tout autres que les fronts somaliens ou nigérians. En attendant la force de la CEDEAO, et même en cas de succès pour celle-ci, il devient hélas de plus en plus évident que ce front islamiste restera durable dans la région, autant dans son influence, que dans ses capacités. Quid alors, des risques de contagion de phénomènes analogues d'islamo-guérilla, dans la Guinée ou dans le nord de la Côte d'Ivoire voisine ? Quid encore, de l’un des grands tabous de cette nouvelle guerre : la question du financement et des soutiens de ces groupes islamistes, notamment ceux du groupe Ansar Dine. Quid du rapport de la Direction du renseignement militaire, mettant en exergue l’appui financier et l’encadrement par des forces spéciales, fournies par le Qatar, par ailleurs notre plus fameux aux dites factions ? Maintenant que les troupes françaises se sont déployées sur le territoire malien, nous ne doutons pas que les services de renseignement ne manqueront pas de récolter de nouvelles informations à ce sujet.
Ainsi, il n’est pas question de remettre en cause l’opportunité de l’intervention de nos forces armées pour secourir le Mali. Mais selon la nature et la durée que prendra ce conflit, il faudra tout de même ouvrir la question du financement et des appuis des factions islamistes, puisqu’aujourd’hui encore, l’on prétend encore faire la guerre contre le terrorisme international, pourquoi ne jamais oser aller aux sources ? Nous posons la question au ministre de la Défense, Monsieur le Drian. Osera-t-on revoir sérieusement nos dangereuses alliances avec les puissances pétrolières du Golfe ?
Le cas malien : un défi géopolitique français.
Aussi, qu’en sera-t-il de la sécurité du sud Algérien, et de l’Algérie toute entière, si la question sécuritaire dans tout l’axe sahélo-saharien n’est pas sérieusement posée par une puissance traditionnelle telle que la France, en bonne intelligence avec les autres états de la sous-région ? Alors que depuis de nombreuses années, la félonie des gouvernements et des majorités parlementaires n’a fait que rogner sur le budget de la Défense, et ne nous a fait qu’abandonner nos positions stratégiques en Afrique de l’Ouest, nous aurions là l’occasion de réaliser un sérieux retour en force sur le continent et sur nos socles traditionnels.
Il n’est pas certain que nous en ayons encore la capacité pratique, après nous être épuisés plus de 10 ans en Afghanistan dans un conflit vain et sans intérêt pour nous. Il est encore moins certain que la trouble mare politico-médiatique qui influence tragiquement les menées du pays, ait la moindre capacité morale à relever ce nouveau défi géopolitique, qui au final, pourrait bien revêtir une portée historique encore insoupçonnée.
En attendant, la stratégie française n’obtiendra du succès que si « l’obnubilation de l’Occident pour la menace islamiste » ne prévaut pas encore une fois dans les esprits des politiciens et autres faiseurs d’opinion.
En effet, on ne le répètera pas assez, et c’était déjà l’orientation d’une brillante analyse d’Alain Chouet en Décembre 2011, dans la revue « Défense Union ». Toute stratégie française, voire occidentale, est vouée à l’échec tant que ne seront pas analysées et reconnues les natures véritables de ces armées islamo-mafieuses au Sahel :
« Le premier facteur d’instabilité de la zone tient d’abord à la défaillance politique d’Etats qui, faute de moyens matériels et humains ainsi que de volonté politique nationale, se montrent souvent incapables d’assurer leurs fonctions régaliennes sur tout ou partie de leur territoire. Ils n’y sont d’ailleurs guère encouragés du fait du manque d’homogénéité sociologique de leurs pays respectifs le plus souvent exprimé en un accaparement du pouvoir par une minorité communautaire qui s’efforce de maintenir les autres en état de faiblesse et ne manifeste donc que peu d’intérêt pour les problèmes collectifs, en particulier les problèmes de sécurité et de défense. Ce n’est pas que les Etats de la région manquent d’armes, bien au contraire. On assiste depuis la fin des années soixante, à une militarisation croissante et désordonnée de la zone dans proportions sans commune mesure avec les enjeux de défense potentiels. Encouragée par les débordements des rivalités Est-Ouest et Nord-Sud ainsi que par les appétits spéculatifs des industriels de l’armement occidentaux, cette inflation militaire ne trouve en définitive d’expression que dans des conflits d’ordre interne. Instruments de suprématie, de prestige et de rente au profit des oligarchies dominantes, les armées nationales de l’Afrique subsaharienne sont essentiellement destinées à assurer la protection des clans au pouvoir, dont leurs plus hauts cadres font souvent partie, ainsi qu’à sécuriser leurs sources de revenus. Et quand, pour une raison ou une autre, le pouvoir se délite, ces armées prétoriennes s’autonomisent ou se criminalisent en contribuant ainsi un peu plus à l’instabilité générale.[…] C’est ainsi qu’on a assisté à la création d’une « Al Qaida au Maghreb Islamique », plus ou moins auto proclamée qui n’a de « magrébin » que le nom, puisqu’elle est à 99% constituée d’Algériens issus du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat. D’une manière générale, l’action d’AQMI tient plus de la piraterie barbaresque (trafic d’armes, de biens de consommation divers et surtout de drogues, racket des transporteurs, commerçants et entrepreneurs, prises d’otages contre rançon) que de la doxa salafiste, […] ainsi que ses proclamations répétées d’allégeance à la mouvance de Ben Laden et Ayman Zawahiri semblent d’abord destinées à lui donner un paravent idéologique islamique pour ses activités criminelles. […] En ne voulant voir que dans AQMI qu’une émanation locale d’une internationale terroriste vouée au seul djihad contre les infidèles, l’Occident déploie contre elle des moyens militaires et technologiques considérables mais inadaptés, apparait par sa présence renforcée comme un soutien à des régimes contestés, et s’interdit d’en rechercher les véritables motivations, les objectifs et les inspirateurs. […] A trop vouloir considérer le Sahel comme un nouvel Afghanistan, le risque pour l’Occident est de voir son fantasme devenir réalité [3] »
In fine, l’autre risque crée par l’ouverture de ce nouveau front, c’est peut être à la clef le justificatif d’une présence américaine renforcée en Afrique, et de là, une montée en puissance de l’AFRICOM. Pour l’heure, nous sommes encore heureux de pouvoir relativement tenir le leadership des opérations au Mali, en collaboration avec l’ONU et l’Union Africaine. Mais le démantèlement des bases françaises d’Afrique subsaharienne au cours de ces dernières années, n’a pas manqué de laissé un vide en matière de défense et une carence tragique pour nos intérêts stratégiques et traditionnels. Il nous faut encore attendre de voir l’évolution de ce conflit, pour vérifier si son issue sera pour nous l’occasion d’un sursaut, ou d’un nouvel affaissement.
Pour finir, il est évident que de la même manière qu’il faudra à la Nation, une élite forte et patriotique pour épargner au peuple de sortir totalement exsangue de la grande guerre économique, il nous faudra cette même force morale retrouvée au cœur de l’action nationale pour rétablir la place traditionnelle de la France dans le monde. De Nicolas Sarkozy, à François Hollande, aujourd’hui engagé dans un amusant déplacement à Abu Dhabi pour y rechercher de regrettables soutiens (alors que c’est en Afrique de l’Ouest, auprès du Maroc, de l’Algérie et des Touareg, qu’il faut fomenter nos alliances), il est évident de mois en mois que la classe gouvernementale UMP et PS ne recèle nullement l’audace, encore moins le cœur nécessaires à l’accomplissement des objectifs que toute une élite patriotique, jeune, résistante et en plein essor entend rencontrer.
[1] M.LAZAR, « Le Qatar, intervient-il au Nord Mali ? », paru dans l’Express, le 4 décembre 2012, consultable sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/le-qatar-intervient-il-au-nord-mali_1194852.html
[2] B.LUGAN, Opération Serval – Communique de Bernard Lugan du 14 Janvier 2013,consultable sur http://www.realpolitik.tv/2013/01/operation-serval-communique-de-bernard-lugan/
[3] A. CHOUET, Qui veut faire du Sahel un nouvel Afghanistan ?, article paru dans la revue « Défense Union IHEDN » n°149, 1er décembre 2011, consultable surhttp://alain.chouet.free.fr/import/sahel.pdf.
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