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vendredi 19 décembre 2014

Des spirantes, occlusives et autres complications dans la langue kabyle | Tamurt.info

Beaucoup d’encre a coulé au sujet de l’écriture du kabyle, de ses difficultés, et même de ses… impossibilités. Qu’on en juge : en un siècle de travaux et de recherches, on en est encore, en 2014, à se poser des questions sur la façon de “transcrire” les occlusives, siprantes, sifflantes, emphatiques et j’en passe.
19/12/2014 - 00:00 mis a jour le 18/12/2014 - 22:24 par Kader Akerma
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Il suffit de regarder : le résultat, la conclusion la plus probante, la plus indéniable est qu’on ne peut pas écrire le kabyle. Trop compliqué. La langue kabyle, hier dialecte, est aujourd’hui trop compliquée pour être écrite et lue sur une surface plane sous formes de signes visuels. Vous m’avez compris ? Mais c’est l’évidence : il faut se rabattre sur le français. Ou mieux : sur l’arabe, la langue qu’on enseigne en ce moment aux petits Kabyles, à l’âge où ils ne maîtrisent pas encore leur langue maternelle.
TROP COMPLIQUÉE ?
Car si le kabyle est trop compliqué pour être enseigné aux petits Kabyles, c’est-à-dire aux Kabyles de demain, l’Etat non kabyle qui domine en Kabylie et alentours fait de son mieux pour faciliter l’apprentissage de ses succédanées à nos enfants. Comme tout le monde sait, l’école est gratuite en Kabylie et la langue du colon est civilisatrice. Certaines langues mènent même aux paradis coloniaux… paradis non kabyles, mais cela on oublie de le dire. Un vieux de chez nous exclut d’entrer dans un paradis où on ne parle pas le kabyle, la langue de ceux qui n’ont jamais commis de massacres, qui n’ont jamais terrorisé ou colonisé un peuple.
Mais revenons à notre langue à ses impossibilités. Chez nous, quand quelqu’un feint de ne pas comprendre, on lui dit : “Je parle kabyle, oui ou non ?”, façon de dire que le kabyle est une langue qui transmet clairement la pensée. On dit aussi : “Je t’apprendrai le kabyle”, “ça ce n’est pas du kabyle”… C’est que le kabyle est une langue qui véhicule des valeurs, et se décline sur plusieurs niveaux. Ce n’est pas n’importe qui qui parle “le kabyle” ! Car comme langue vivante et civilisatrice, notre langue s’apprend tout au long de la vie. Sur plusieurs niveaux. Elle s’acquiert, elle se mérite, comme un trésor. Elle enrichit, et cela les colons le savent.
UN ALIMENT IRREMPLAÇABLE POUR L’ENFANT à l’âge où ils ont encore leurs dents de lait. Si nos enfants en sont à apprendre une langue étrangère, le rôle du chercheur kabyle n’est pas de montrer au Kabyle que sa langue est compliquée. Au contraire. Démontrons plutôt à nos enfants que leur langue est comme le colostrum de leur maman, qu’elle est irremplaçable, non compliquée, et qu’elle leur transmet une force qu’aucun autre aliment ne pourra leur donner.
Disons-leur que la fraternité et la bravoure ne se déclinent qu’en kabyle ! Que le goût du kabyle dans la langue de l’enfant (et de l’adulte) n’a d’égal que le miel des montagnes de Kabylie.
Désintoxiquons le cerveau de nos petits, et disons-leurs que leur langue maternelle est infiniment moins compliquée que celle des gaulois, cette langue impossible à maîtriser même pour les Français, et infiniment plus enrichissante que celle du bédouin venu d’Asie.
Disons à nos enfants que c’est le kabyle qui mène aux vrais paradis : celui de l’honneur, des libertés et des Hommes libres. Que le kabyle est la langue de l’espoir, la langue de l’avenir, de leur avenir à eux. Que leur avenir ne pourra pas se faire dans un idiome autre que le leur.
QUID ALORS DES LABIALES, SPIRANTES ET AUTRES NUANCES ?
Je dirai donc aux francisants et à ceux qui considèrent qu’écire le kabyle est compliqué à cause de ces spirantes et autres nuances, que l’alphabet kabyle se décline de façon simple et tout à fait enseignable. Inutile de nous noyer dans un verre d’eau.
  1. Pour ma part j’ai dénombré 31 consonnes et 3 voyelles. La grammaire que j’ai conçue fonctionne parfaitement avec cet alphabet. Sans cédilles ni chevrons ni points sous les lettres. Et encore : parmi ces 31 consonnes, certaines sont “d’importation” :
    - E [ein] comme dans aevin (le viatique), absent dans l’alphabet touareg
    - H comme dans Hrcav (il est rugueux), absent aussi dans l’alphabet touareg
    - P comme dans apulis : dans le temps on disait abulis pour apulis, lbusta pour lpusta, abaki pour apaki…
    - So comme dans souab (le bon sens).
A part le “p”, ces signes sont si souvent utilisés qu’on ne peut que les intégrer dans l’alphabet. Et rien n’interdit d’intégrer le “p”, qui ne peut qu’enrichir en renforçant le peuplement de l’alphabet.
Beaucoup, sans doute pour souligner la complexité de notre langue, parlent de sons spécifiques au kabyle, difficiles à prononcer pour l’étranger. Donc, vous l’avez deviné, trop compliqués pour être écrits. Sinon peut-être dans une écriture phonétique, c’est-à-dire non grammaticale…
C’est le cas de certains consonnes parfois prononcées “du bout des lèvres” par le locuteur kabyle : b, d, k, t, y. Je dirai aux “phonéticiens” que ceci est certes une réalité, mais une réalité phonétique, pas plus. C’est une affaire d’accents, qui ne doit donc
pas interférer dans la grammaire.
Les Amazighs du Sud les prononcent en occlusives. Les Kabyles partagent avec eux la même langue mère, et ne possèdent pas un alphabet propre différent des autres peuples amazighs. Inutile donc de croire que le “t” se décline en kabyle comme tantôt la 3ème tantôt la 4ème lettre de l’alphabet arabe. Ou que “d” se décline comme les 5ème et 6ème du même alphabet. Rien n’est plus faux.
Je vois aussi que certains Kabyles “réclament” un “v” à la française. Je leur dis tout de suite que cette consonne n’a jamais existé dans la langue kabyle. Elle n’est attestée dans aucune racine. Il ne nous appartient pas de l’inventer. Et que même dans les langues européennes elle est relativement nouvelle et plutôt instable, il suffit de voir la parenté livre/libraire, love/lieb, fièvre/fébrile… Inutile donc de détraquer les fondements de notre langue pour faire “différent”.
L’ALPHABET KABYLE
Les masculines
B ablado la pierre
D adurr le rang
G agnvi l’épée
Ho thori la largeur
Q tiqri le cri
Y uyur l’obstacle
Z izirdi la mangouste
Les féminines
C aclim le son
H lhara la cour
K akrmus le cactus
P lpumpa la pompe
S asif la rivière
T tusut la toux
X afrux l’oiseau
Les consonnes larges
Do adou le vent
So asourdi le sou
Zo arzo la guêpe
Les veuves
F afus la main
L ils la langue
M imi la bouche
N inisi le hérisson
R tarvla la fuite
Les compressions
Co coina l’orange (début et fin de mot)
Dt adtan la maladie
Go goiq j’ai laissé (début et fin de mot)
Qo iqour il est dur
To avito prend-la (début et fin de mot)
W zwaq il est rouge
Les semi-consonnes
E aebbudo le ventre
J ajur le mois
V tzvq le rouge
Les voyelles
A tayrfa le corbeau
I ifri la grotte
U ulmu l’orme
Autre phénomène compliqué : la classification des lettres de l’alphabet. Les pionniers de l’écriture du kabyle, tous francisants, ont copié la classification conventionnelle des consonnes : spirantes, occlusives, labiales, dentales… Cette classification, si elle est compréhensible pour des premiers travaux, n’en est pas moins inutile et non adaptée à la langue kabyle.
L’alphabet, pour être exploitable, doit en effet être agencé selon les parentés et les fonctionnalités des lettres qu’il contient. Et en Kabyle, c’est en masculines/féminines/veuves, larges (emphatiques), semi-consonnes et compressions que les consonnes se groupent. Le tout, avec les voyelles, formant l’alphabet.
Cette classification en groupes logiques trouve sa justification et son utilité dans les règles grammaticales qui régissent la langue. Ce qui fait un ensemble harmonieux sans fausses notes. Un système grammatical qui fonctionne.
Disons pour conclure que la langue kabyle n’est pas le fruit du hasard ou du chaos, et qu’il suffit d’en lire la grammaire pour être émerveillé du trésor d’intelligence qui la régit. Et pour être convaincu qu’elle s’écrit facilement et, surtout, grammaticalement. Qu’elle s’enseigne donc, y compris pour le non-kabyle.
Kader Akerma

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