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jeudi 7 février 2013

Au Mali, des siècles d'antagonismes

Au Mali, des siècles d'antagonismes

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Des soldats maliens, en mars 2012 à Bamako. L'antagonisme entre les populations du sud et du nord est autant inscrit dans l'espace que dans l'histoire des hommes.

Sédentaires contre nomades, agriculteurs contre commerçants, hommes noirs contre hommes à la peau claire... L'éternel antagonisme entre les populations du sud et du nord du Mali, plus vivace que jamais depuis la sécession de l'Azawad, proclamée le 6 avril 2012, et le lancement de l'opération militaire franco-malienne, le 11 janvier, est autant inscrit dans l'espace que dans l'histoire des hommes.

CURIEUX ASSEMBLAGE
Construction étatique née de l'époque coloniale, aux frontières dessinées et redessinées (la dernière fois en 1943) par les Français, le Mali apparaît de prime abord comme le curieux assemblage de deux mondes étrangers l'un à l'autre. Au sud, les héritiers des grands ensembles politiques ouest-africains : l'empire du Mali, l'empire Songhaï ou le royaume de Ségou, qui furent tous confrontés, à un moment ou un autre de leur histoire, aux incursions de guerriers et de commerçants maures, arabes ou touareg.
Quant aux habitants des deux tiers nord du pays, ils appartiennent à l'histoire du Sahara, de ses royaumes nomades et des grandes routes caravanières. La ville de Tombouctou, dont le prestige culturel et la réputation d'opulence sont difficiles à relier aux images de désolation qui en parviennent depuis des mois, en est sans doute la trace la plus brillante. Ses mausolées comme ses précieux manuscrits, placés sous la protection toute symbolique de l'Unesco, en sont la face lumineuse. Quant au souvenir de la traite négrière transsaharienne, dont la ville a été un des centres névralgiques pendant des siècles (plusieurs centaines de milliers de captifs originaires des régions subsahariennes ont transité par elle jusqu'à la fin du XIXe siècle), il en est la part maudite. Ainsi, si le nord et le sud du pays interagissent depuis des siècles, leurs relations ont rarement été pacifiques. Et la colonisation française n'a rien arrangé.
La colonisation du Sahara, menée durant les dernières années du XIXe siècle depuis le Sénégal vers l'est et officiellement entérinée à la Conférence de Berlin, en 1885, a conduit la France à administrer une immense étendue désertique. Elle ne fut parachevée qu'au début du XXe siècle : Tombouctou est prise en 1894 et ce n'est qu'en 1907 qu'on peut implanter un gouverneur militaire à Kidal, au coeur du pays touareg.
Les relations entre la puissance coloniale et les populations arabes, maures et touareg du Soudan français, bientôt incorporées dans l'Afrique occidentale française (AOF), resteront, jusqu'aux indépendances de 1960, très superficielles. Et elles ne seront pas exemptes d'un certain aveuglement romantique : le mythe de l'inflexible guerrier touareg, tenant d'idéaux disparus en Europe, fascinera des générations de militaires français, souvent eux-mêmes d'ascendance noble et nostalgiques d'un certain âge d'or aristocratique. Même les nombreux accrochages, comme le massacre de la mission Flatters par des Touareg, en 1881, ou les révoltes qui agiteront la région de manière sporadique durant toute la période, ne viendront pas à bout de cette sympathie initiale. Le souvenir émerveillé des récits de René Caillié, premier Occidental arrivé à Tombouctou en 1828, ou les travaux de Charles de Foucauld sur la culture touareg ont durablement marqué les mémoires.
Cette fascination n'alla pas sans effets pervers. "Comme ils admiraient leur culture, les coloniaux n'ont pas cherché à changer les Touareg", souligne l'historien Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains. Ce faisant, les colons ont créé des déséquilibres sociaux dont la région ne s'est jamais remise. De fait, si la France a construit de nombreuses écoles dans le sud du pays, elle s'est bornée à tracer quelques pistes dans le nord, et n'a commencé à corriger cette faiblesse qu'à la fin des années 1940, alors que la logique de la décolonisation commençait à s'imposer.
"ETHNIQUEMENT DIFFÉRENTS"
Ce processus a été l'occasion de nouvelles tensions entre le Nord et le Sud. La raison principale en est la tentative menée par Paris de détacher des régions sahariennes d'Algérie, du Soudan français, du Niger et du Tchad, réputées riches en minerais, pour créer une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) sous domination française. Au Mali, les populations du Nord, et surtout les Touareg, seront des soutiens enthousiastes de l'initiative : en 1958, dans une lettre adressée à Charles de Gaulle, des milliers de pétitionnaires réclameront leur détachement de la tutelle de Bamako, en s'affirmant "ethniquement différents". "Cet épisode est largement oublié en France, mais il est dans tous les esprits au Mali, et il a beaucoup nourri la haine des habitants du Sud contre ceux du Nord", souligne Pierre Boilley.
Les chefs successifs de l'Etat malien indépendant s'emploieront (du reste, avec un certain succès) à faire émerger les bases d'une culture nationale propre, notamment en exaltant le souvenir d'un empire du Mali dont les contours n'ont pas grand-chose à voir avec les frontières actuelles. Mais ils ne viendront pas à bout de cet antagonisme nourri par un climat de sécession larvée. Et la colère, palpable, des habitants du Sud contre les Touareg accusés d'avoir, en déclenchant la révolte de janvier 2012, ouvert la voie à la barbarie djihadiste, risque d'accroître encore le fossé entre les deux régions.

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