uand l’islam radical devient une valeur refuge au Nord-Mali
JolPress- André Bourgeot
La crise au Nord-Mali a rythmé l’actualité du Sahel cette année. Entre coup d’État politique, invasion islamiste, tentative de sécession et préparation d’une intervention militaire, le Mali est aujourd’hui plus que jamais divisé. Retour sur une année mouvementée avec André Bourgeot, spécialiste du Sahel au CNRS.
Photo : John Spooner/Flickr / cc
Le Sahel a connu une année chargée. Depuis le coup d’État du 22 mars dernier au Mali, qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, les évènements se sont succédés et en quelques mois, le nord du pays a été envahis par plusieurs mouvements islamistes radicaux, forçant la communauté internationale à envisager l’intervention militaire.
Aujourd’hui, cette intervention menée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest est en attente et, selon les Nations unies, ne pourra pas être effective avant septembre 2013.
Quel bilan tirer de cette année au Sahel ? André Bourgeot, chercheur au CNRS, répond aux questions de JOL Press.
Le Sahel a été au cœur de l’actualité cette année, notamment depuis le coup d’État du 22 mars au Mali. Il semble que cette région soit devenue une véritable poudrière ?
On ne peut pas vraiment parler de région poudrière. Seul le Mali relève de cette terminologie.
Les tensions qui existent dans la région sont, pour la plupart, les conséquences de la guerre civile en Libye. Bien entendu, les conséquences directes sur le Mali ont à leur tour eu des répercussions sur les pays voisins.
On estime aujourd’hui que 500 000 Maliens se sont réfugiés en Mauritanie, au Niger, en Algérie et au Burkina Faso.
La crise malienne a également fait 200 000 déplacés à l’intérieur du pays.
Vous estimez donc que ces derniers évènements sont des conséquences du conflit libyen ?
Le conflit en Libye a eu des répercussions directes sur le Mali, et d’une manière indirecte sur ses voisins.
Au Mali, les Touaregs qui avaient d’abord gagné les légions islamiques libyennes dans les années 70 puis versé dans l’armée nationale libyenne sont revenus dans leur pays d’origine, armés, et prêts à mener une offensive. Le gouvernement a été inactif et rien n’a été fait contre ce phénomène.
Au Niger, par exemple, la configuration est différente. Des Nigériens ont également rejoint la Libye dans les mêmes conditions que celles des Touaregs maliens puis ont rejoint ponctuellement les forces de la transition anti Kadhafi avant de regagner leur pays d’origine. Les Nigériens sont revenus et ont été désarmés par les autorités.
On ne peut pas dire pour autant que la crise malienne aurait pu se produire au Niger. Les configurations des deux pays sont très différentes.
Lors du coup d’État du 22 mars dernier, trois mouvements islamistes se sont emparés du nord du Mali. Depuis, ces mouvements font régner la charia auprès des populations. Assiste-t-on à une vague d’islamisation de cette région ?
On ne peut pas parler d’islamisation car l’invasion du Nord-Mali n’a absolument pas apporté l’islam au Sahel.
En revanche, nous assistions à une « salafisation » de la région, sous l’impulsion d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et d’Ansar Dine.
Il y a effectivement un certain écho à l’égard du salafisme et de l’influence politique de l’islam.
On le voit distinctement au Mali, et de nombreux indicateurs, comme le port du voile, témoignent de l’adoption d’un islam rigoureux par la population.
La population malienne a donc été séduite par une forme plus rigoriste de l’islam ?
Il faut remettre les choses dans leur contexte. L’islam radical s’est installé dans un pays où lapauvreté prolifère, où les valeurs portées par l’Occident sont rejetées pour leurs aspects moraux. L’islam radical a donc été vu comme une alternative et un refuge.
Le discours de l’islam est politique et religieux mais il n’est pas économique. Les salafistes ne rejettent pas l’économie de marché. Ils remettent simplement la morale, les valeurs, les modes de vie et de pensées occidentaux en cause.
Ces salafistes ont pu trouver leur place au Nord-Mali car ils sont arrivés en plein chaos, avec un discours porteur d’ordre moral qui a trouvé un écho auprès d’une partie de la population concernée.
La population malienne s’est donc convertie aux pratiques de la charia ?
C’est une confusion à ne pas faire. L’écho que les salafistes reçoivent auprès des Maliens ne correspond pas à une adhésion de la part de la population.
La population, pour la plupart, n’accepte pas un grand nombre des règles imposées par les islamistes. Simplement, une partie de cette population perçoit ces mêmes règles comme un retour espéré à l’ordre.
L’année 2013 sera-t-elle l’année de l’intervention militaire au Mali ?
C’est une problématique à laquelle personne ne peut répondre. La crise malienne se suit au jour le jour et tout peut changer à chaque instant.
Récemment, alors que l’Union africaine avait affirmé que l’intervention serait imminente,l’ONU a considéré que celle-ci, selon des critères que l’on ignore, ne pourrait pas être effective avant septembre 2013.
Qu’en est-il des otages ? L’intervention au Mali va-t-elle être l’occasion de déclencher une opération de libération ?
Il y a effectivement un lien direct entre l’intervention militaire au Nord-Mali et la libération des otages puisque les mouvements islamistes ont menacé de les tuer, notamment si la France s’investissait dans ce conflit.
François Hollande n’a pas cédé à la menace, et affiche son soutien au gouvernement de Bamako et à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour poursuivre les opérations avec le soutien financier et logistique de la France.
Lorsque l’on parle des otages, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que des Français. Aujourd’hui,cinq Algériens sont notamment retenus en otage par le Mujao.
Est-ce pour cette raison que l’Algérie est réticente à voir une intervention étrangère au Mali ?
La politique algérienne a toujours été ferme sur ce point. Les autorités, depuis l’indépendance de l’Algérie, refusent d’envoyer des soldats algériens en territoire étranger.
L’Algérie ne veut pas revenir sur cette position mais va sans doute être amenée à assouplir son discours. Nous aurons plus d’éléments d’interprétation à la suite de la visite de François Hollande au président Abdelaziz Bouteflika, les 19 et 20 décembre prochains.
Comment analysez-vous la politique de François Hollande sur cette question ?
Le Président a généralement un discours de va-t-en guerre. Au côté du président nigérienMahamadou Issoufou, François Hollande a toujours prôné l’intervention avec véhémence.
Ce discours est plus nuancé aujourd’hui, mais le fond reste le même.
Est-il néanmoins certain que l’engagement français ne se réduira qu’à un appui technique et logistique ?
C’est ce qui est annoncé. Néanmoins, des militaires français sont en ce moment à Niamey, au Niger et sont chargés de la formation de l’armée nigérienne, en vue d’une intervention. C’est une situation ambigüe.
N’oublions pas qu’en Libye, en Côte d’Ivoire ou encore en Afghanistan, l’armée française ne devait pas, à l’origine, intervenir directement sur le terrain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire